Republié avec l’autorisation de Vista, voir l’article original ici
Photo de Samuel Martins sur Unsplash
Je suis Africain. Je suis né et j’ai grandi au sud du Malawi. J’ai travaillé en Europe et aux Etats-Unis pendant les vingt dernières années. Je suis arrivé en Europe en 2000 pour enseigner à l’école de ministère, désormais défunte, de Saint-Gall en Suisse. Pour plusieurs raisons, ce que je faisais à l’époque, un ministère qui m’a finalement emmené dans différents pays d’Europe, ne s’appelait pas ‘missions’.
Beaucoup de gens avec qui je travaillais ne comprenaient pas qu’un Africain pouvait être un missionnaire, encore moins servant en Europe. Par conséquent, j’ai travaillé auprès des jeunes pendant trois ans avant de décider de rechercher une formation qui me permettrait d’être efficace dans la mission auprès des Européens. J’ai acquis cette formation en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis où j’ai étudié tout en continuant à servir dans la mission. Mon travail commença avec un service missionnaire à court terme en Suisse. Vingt ans plus tard, je suis toujours là, et je suis extrêmement inquiet sur l’état de la mission en Europe.
En effet, vivre en Europe pendant un si long moment m’a octroyé une opportunité d’observer et d’expérimenter aussi bien l’impact écrasant du sécularisme dans le panorama religieux et l’impuissance totale de la plupart des Chrétiens européens à l’aborder efficacement et à évangéliser leurs prochains. Par exemple, dans ma ligne actuelle de travail, j’interagis régulièrement avec des étudiants de plusieurs universités en Europe. J’ai compris qu’une majorité écrasante d’étudiants universitaires en Europe refuse de s’identifier comme étant religieux. Ma recherche non publiée sur la foi des enfants des migrants africains d’âge universitaire en Grande-Bretagne suggère que moins de 10 pourcent de tous les étudiants s’auto-identifient comme étant religieux, et moins de 5 pourcent d’entre eux s’identifient comme étant Chrétiens évangéliques actifs. J’ai compris, auprès de la plus jeune génération d’étudiants africains, que beaucoup de leurs copains européens non-religieux disent qu’ils sont détachés du Christianisme depuis deux ou trois générations et, en tant que tel, qu’ils associent généralement le mot « Chrétien » avec des Pentecôtistes nigérians portant leur Bible, parlant en langues, qui louent leurs salles d’écoles pour des offices d’église ou avec les Catholiques polonais qui ont rendu la messe à nouveau viable dans leur paroisse de quartier. Je trouve cette situation effrayante, spécialement lorsque j’entends beaucoup de conversations de missions traditionnelles en Europe prenant plus de temps à discuter sur la manière d’atteindre les Musulmans en Europe ou à envoyer plus de missionnaires en Afrique ou dans d’autres endroits, donnant peu d’attention au champ missionnaire parmi les Européens. Nous avons encore besoin de discerner la manière d’aborder au mieux les Européens postchrétiens dans la mission.
L’inquiétude que j’ai pour l’état de la mission en Europe ne peut pas être formulé adéquatement. Je ne suis pas d’accord avec ces Africains qui veulent narguer l’Europe en disant : « Qui sont les païens maintenant ? » Pourtant, l’ironie est visible à tous. La plupart des Chrétiens européens, selon moi, ne commence même pas à comprendre la gravité de la situation. Ils ont vécu au travers du processus de sécularisation et ont donc été conditionnés à voir cela comme normal. Il faut souvent des yeux étrangers (comme des migrants européens rapatriés ou non-européens) pour voir les choses qui semblent normales pour les gens du cru. Par exemple, après être rentré en Angleterre après plus de 30 ans en Inde, Lesslie Newbigin était choqué de voir que la Grande-Bretagne était devenue un champ missionnaire comme l’Inde, un champ missionnaire plus difficile car, ajoutait-il, « [La mission] est plus difficile que tout ce que j’ai rencontré en Inde. Il y a un mépris froid pour l’Evangile [en Grande-Bretagne] qui est plus difficile à affronter que l’opposition… L’Angleterre est une société païenne, et le développement d’une rencontre vraiment missionnaire avec cette forme vraiment difficile de paganisme est la tâche la plus grande et la plus pratique dont l’église fait face. » Ce défi attend encore d’être relevé, et j’ai bien peur que la voix de Newbigin disparaît lentement dans le passé. Pour ceux parmi nous qui ont été témoins de l’explosion du Christianisme dans d’autres parties du monde, le choc d’une Europe postchrétienne et séculière est indéchiffrable. Ceux parmi nous qui ont grandi en voyant les gens affluer dans les églises presque tous les jours de la semaine sont choqués de voir les Européens s’éloigner en masse du Christianisme. Il y a de l’espoir cependant. Dieu a envoyé de l’aide sous la forme de beaucoup de Chrétiens remplis de prière et zélés du monde entier, avec le besoin compréhensible d’apprendre le contexte, mais prêts et désireux de s’engager. Ils n’utilisent pas l’étiquette « missionnaires ». Beaucoup d’entre eux sont des migrants économiques, mais ils sont Chrétiens, très prêts à servir Dieu en Europe.
Au travers de cette opportunité de parler à des responsables de mission en Europe, je voudrais mettre en exergue trois problèmes. Premièrement, je leurs demanderais de commencer à penser sérieusement à l’Europe en tant que champ missionnaire. Ceci est nécessaire car, en premier lieu, l’histoire de l’église suggère que les sociétés déchristianisées ont des difficultés à se reconvertir au Christianisme. L’Afrique du Nord et l’Asie mineure en sont de bons exemples. Deuxièmement, les Européens façonnés par le Siècle des Lumières sont un champ missionnaire unique comparé à pratiquement tous les autres peuples du monde. En effet, alors que le reste du monde est furieusement religieux, l’Europe, étant un « cas exceptionnel » (Davie), devient de plus en plus séculière. La mission parmi les Européens séculiers, ou de fait, quiconque séculier, est un territoire inexploré. De plus, la mission et l’évangélisme parmi les Européens ne peut pas se fier à l’aide des empires coloniaux comme la plupart de l’œuvre missionnaire qui eut lieu dans le monde entier au vingtième siècle. Pour beaucoup d’Africains du 20èmesiècle, par exemple, le missionnaire et le colonisateur servaient le même objectif. Pour ceux d’entre nous travaillant en Europe aujourd’hui, nous devons apprendre comment évangéliser sans chercher à coloniser, ce qui, je le crois, est la manière dont la mission doit être faite partout. Tout ceci pour dire que si nous abordons l’Europe en tant que champ missionnaire, nous aurons besoin d’une nouvelle missiologie. Tout comme les anciens missionnaires étudiaient leurs champs missionnaires, nous devons former des missionnaires pour l’Europe. Nous devons envoyer des missionnaires dans les pays européens.
Deuxièmement, je les encouragerais à considérer de traiter la mission en Europe en tant qu’entreprise spirituelle, car je crois que ça l’est. La clé pour ceci est la prière. Par dessus tout, c’est la prière qui ouvrira les portes afin que la lumière de Dieu brille en Europe. Les plans, les stratégies et les visions sont excellents, mais ils accompliront bien plus s’ils sont soutenus par la prière. Bien sûr, même nos ministères sociaux cherchant à démanteler les injustices systémiques auront un plus grand impact lorsqu’ils sont accomplis dans la prière. Les réveils se produisent, j’en suis certain, seulement grâce à la prière. Nous avons besoin de la prière lorsque nous plantons des églises, lorsque nous organisons nos banques alimentaires, lorsque nous distribuons des tracts dans la rue principale, lorsque nous visitons les malades à l’hôpital, et lorsque nous visitons ceux qui sont en prison. Nous avons besoin de prière dans tout ce que nous faisons.
Troisièmement, je leurs demanderais de réaliser que pour évangéliser l’Europe, nous avons besoin que tous les Chrétiens vivant en Europe soient impliqués. Ceci est critique, en premier lieu à cause de l’histoire coloniale de la mission et de l’histoire raciste de la relation de l’Europe avec le reste du monde et, en second lieu, parce que le champ missionnaire européen comprend plusieurs centaines de milliers d’Européens non blancs et d’immigrants non-occidentaux. Les Européens n’atteindront pas tous ces gens sans l’aide de l’église mondiale présente actuellement en Europe. Laissez les Brésiliens, les Nigérians et les Coréens, et les nombreux autres Chrétiens étrangers, trouver leur place dans la mission en Europe. Je demanderais aux responsables européens d’aider patiemment les Chrétiens étrangers à comprendre mieux le contexte de l’Europe, et à les encourager à prier pour leurs efforts missionnaires. Cela les aiderait aussi à faire de l’espace dans leurs organisations pour permettre aux Chrétiens étrangers de contribuer à leur sens de la mission.
Malheureusement, bien sûr, il est difficile pour les Européens de recevoir et de demander de l’aide. Beaucoup d’Occidentaux sont de bons orateurs mais de mauvais écouteurs, spécialement si ce sont les non-Occidentaux qui parlent. De manière générale, les Européens font toujours l’enseignement, et les Africains doivent écouter et apprendre. Je pense que si l’homme de Macédoine (d’Actes 16) devait appeler à l’aide aujourd’hui, on lui dirait simplement d’aller à Troas pour rencontrer Paul. Mais dans ce contexte actuel de la mission en Europe, les Européens devront écouter plus, et apprendre à recevoir de l’aide de la part des Africains et d’autres non-Occidentaux vivant parmi eux. L’Esprit de Dieu nous aidera à faire tout cela. Après tout, c’est la mission de Dieu.
Conférencier sur le Christianisme africain et la théologie, Liverpool Hope University
Photo: Word of Truth International Christian Ministries (Mons-Belgique)
BIBLIOGRAPHIE
Berger, The Desecularization of the World: Resurgent Religion and World
Politics. Grand Rapids, MI: W.B. Eerdmans, 1999.
Davie, Europe – the Exceptional Case: Parameters of Faith in the Modern World. London: Darton Longman & Todd, 2002.
Kwiyani, Our Children Need Roots and Wings: Equipping and Empowering Young Diaspora Africans for Life and Mission Liverpool: Self-pub., CreateSpace, 2018.
Newbigin, Unfinished Agenda: An Autobiography. Geneva: WCC Publications, 1985.