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Comment l’Eglise en Europe doit-elle répondre à la présence visible croissante des musulmans sur notre continent ? Je suggère une quadruple réponse : 1. un cœur compatissant ; 2. un esprit informé ; 3. une main engagée ; et 4. une langue qui témoigne. Néanmoins, avant de chercher à toucher le cœur de nos amis musulmans avec l’Évangile de Jésus-Christ, nous devons examiner honnêtement notre propre cœur.
La peur d’Eurabia et ses conséquences
La présence de plus en plus visible des musulmans en Europe est une source d’inquiétude pour de nombreux Européens, y compris les chrétiens. De nombreuses personnes en Europe craignent l’islamisation de l’Europe. Ils estiment que l’Islam est considéré comme un problème ou un obstacle à la modernisation et soulignent que la relation tendue entre l’Islam et l’Europe est un choc des civilisations. D’autres affirment que l’islam est hostile et incompatible avec les valeurs du monde occidental et soutiennent que des valeurs européennes essentielles, telles que la laïcité, la liberté d’expression et la sécurité, sont menacées par la présence de musulmans en Europe.
Certains écrivent que la présence d’un nombre important de musulmans en Europe est une stratégie délibérée pour s’assurer que les musulmans formeront une majorité démographique dans quelques générations, afin d’imposer leur loi de la sharia sur ce continent.
La progression de l’islam dans son implantation en Europe reste un phénomène difficile à accepter. Les sociétés européennes réagissent essentiellement de manière négative à la visibilité croissante de l’islam dans leurs rangs. Une attitude islamophobe reste forte en Europe et s’exprime en public de plus en plus fréquemment. On trouve également des attitudes islamophobes chez les chrétiens, qui semblent être façonnés par les sociétés dans lesquelles ils vivent.
« Les attitudes islamophobes restent fortes en Europe… malheureusement les églises et les chrétiens partagent souvent ce sentiment négatif »
Ces sentiments négatifs entraînent plusieurs conséquences. Premièrement, il conduit à la marginalisation, à la discrimination et à l’exclusion des musulmans dans la recherche d’un logement, d’un emploi ou d’un stage ; deuxièmement, il contribue à la montée de la xénophobie et à la résurgence du nationalisme.
Malheureusement, les églises et les chrétiens partagent souvent le sentiment négatif qui imprègne les sociétés dont ils font partie. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles nombre d’entre eux ne sont pas intéressés à examiner de plus près ce qui se passe réellement au sein des communautés musulmanes en Europe.
Phases des relations entre l’Islam et l’Europe
Lorsque nous examinons les relations entre l’Islam et l’Europe dans l’histoire, nous pouvons identifier plusieurs phases. Une première phase, qui a duré au moins pendant les dix premiers siècles de l’histoire de l’islam, a été marquée par des conflits majeurs, symbolisés par les croisades. La deuxième phase se caractérise par des vagues historiques d’islam en Europe qui ont laissé une empreinte sur l’Europe jusqu’à aujourd’hui, telles que : la civilisation islamique en Ibérie, les Tatars musulmans dans les régions slaves du nord ; l’Empire ottoman. Dans la troisième phase, nous assistons à la domination européenne des terres islamiques, par le biais du colonialisme et de la mondialisation économique. Dans la quatrième phase, à partir des années 1950 et 1960, l’Islam commence à se répandre en Europe par le biais de la migration des immigrants de première génération venant des anciennes colonies et des travailleurs migrants en réponse à la demande européenne. Dans la cinquième phase, nous assistons à une autochtonisation croissante de l’Islam en Europe. Il en résulte la formation d’un Islam européen, avec une identité propre et prononcée, différente de celle de l’Islam arabe ou de celle des pays d’origine. On peut considérer qu’il s’agit de la sixième phase.
Aujourd’hui, la plupart des pays européens se trouvent quelque part entre la quatrième et la cinquième phase et, dans certains pays, nous assistons au développement de la sixième phase. Je vois trois tendances chez les musulmans d’Europe, à savoir : 1. les immigrés sont devenus des citoyens ; 2. l’Islam est revitalisé dans les Balkans et en Russie ; 3. L’islam en Europe n’est pas une entité monolithique mais s’exprime de diverses manières.
De manière générale, les musulmans d’Europe sont urbanisés, jeunes, économiquement moins aisés et diversifiés.
Le nombre de musulmans en Europe devrait continuer à augmenter, passant d’environ 44 millions aujourd’hui (6 % de la population) à 58 millions en 2030 (8 % de la population). En fonction des migrations futures, le nombre de musulmans en Europe en 2050 pourrait atteindre 75 millions (14 % de la population totale).
Il est important d’être prudent dans l’utilisation des statistiques démographiques. Les statistiques ne donnent souvent aucune indication sur l’engagement religieux, les croyances et les pratiques d’une personne. Certains pensent que seul un tiers de tous les musulmans d’Europe pratiquent activement leur foi islamique.
L’européanisation progressive de la théologie et des pratiques musulmanes
Je constate plusieurs changements au sein de l’islam en Europe.
En ce qui concerne la structure, je constate une institutionnalisation de l’islam en Europe avec la création de conseils islamiques nationaux, l’émergence de dirigeants politiques et civiques musulmans, la formation d’organisations telles que des associations, des écoles et des mosquées, l’occidentalisation des mosquées et la démocratisation de l’autorité religieuse, où les « cyber-imams » font concurrence aux imams des mosquées.
Cette institutionnalisation de l’islam en Europe est une question complexe et non achevée. Les gouvernements d’Afrique du Nord, de Turquie et du Moyen-Orient exercent toujours une grande influence sur l’islam en Europe. Il existe encore un grand nombre de mosquées gérées par des étrangers et dotées d’un personnel étranger. Il reste un grand besoin de former les imams en Europe et de développer des sources de financement nationales pour les institutions islamiques.
En ce qui concerne la pratique, je vois une individualisation des croyances et des pratiques religieuses islamiques. Il s’agit d’un islam où le croyant décide de manière autonome des éléments de l’islam qu’il considère comme obligatoires ou non. Cette individualisation s’exprime de la manière suivante : le développement d’une culture de la jeunesse islamique ; la diminution de l’influence des écoles de droit traditionnelles ; le développement des Fatwahs européens ; l’organisation de l’abattage pendant la fête du sacrifice et la diversité croissante de la pratique religieuse et des convictions parmi les musulmans.
« L’Islam en Europe devrait figurer plus haut dans l’agenda de l’Eglise… Ce qui arrive à l’Europe et à l’Islam n’est pas quelque chose que l’Eglise peut ignorer »
Le résultat de cette individualisation de la foi et des pratiques islamiques ne signifie pas automatiquement un déclin de la pratique religieuse, ni une libéralisation de l’islam, bien que cela se produise en partie. Elle conduit parfois à une attitude critique des musulmans de la deuxième génération envers l’islam de leurs parents et l’autorité religieuse. Certains se détachent de la culture islamique de leurs parents à la recherche d’un islam pur.
En ce qui concerne la théologie, je vois le développement d’une nouvelle herméneutique de l’interprétation du Coran et de la Sunna, notamment dans les écrits de quatre réformateurs musulmans renommés, basés en Europe : Bassam Tibi, Tariq Ramadan, Tareq Oubrou et Abdennour Bidar. Ces quatre personnes contribuent toutes à l’idée d’un islam européen. Je vois d’autres développements d’inspiration théologique : Un désir d’égalité des sexes, exprimé par des théologiennes musulmanes qui expliquent, définissent et redéfinissent plusieurs concepts clés de l’islam. Des changements dans la façon dont la sharia est interprétée. Des changements dans la façon dont la loi sur l’apostasie est interprétée. Discussion sur les conditions juridiques liées au statut de minorité en Europe.
Un nombre croissant d’universitaires musulmans en Europe pensent que l’islam européen est possible, tant sur le plan théologique que politique. Mais il faut comprendre qu’il ne s’agit pas encore d’un fait existant, mais d’un processus en cours. Dans leur conception, un tel islam européen intègre les valeurs de la modernité et les relie au divin. Il préserve le divin dans sa modernité.
La réponse de l’Église : spectateur, suiveur ou précurseur ?
La présence de l’Islam en Europe devrait être une priorité pour l’Eglise en Europe. L’Église ne peut ignorer ce qui arrive à l’Europe et à l’Islam. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être des spectateurs lorsque l’Europe et l’Islam déterminent leur avenir ensemble. Nous ne devons pas non plus suivre l’état d’esprit des Européens en général. Au lieu d’être des agents de changement et de transformation dans une société éloignée de Dieu, de nombreux chrétiens européens imitent les sentiments de cette société envers les musulmans. Je crois que nous devons parler des musulmans et avec eux avec des attitudes qui sont influencées par la manière dont Dieu nous traite. Notre pensée, notre attitude, notre comportement à l’égard de l’islam en Europe devraient être guidés par l’amour du don de soi de Dieu manifesté à la croix du Golgotha. Je suggère que les Églises et les chrétiens de toute l’Europe répondent à la présence des musulmans en Europe par : a) un cœur compatissant ; b) un esprit informé ; c) une main engagée ; d) une langue qui témoigne.
L’Église peut façonner l’avenir de l’islam en Europe si nous sommes prêts à refléter la vérité, la gloire et l’attitude de Dieu dans nos relations avec les musulmans qui sont parmi nous.