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L’histoire de l’Europe est une histoire de conflit. Pendant des siècles, les nations d’Europe ont combattu des guerres sanglantes pour des territoires, le pouvoir et la religion. Cependant, depuis 1945, l’Europe a expérimenté une période de paix sans précédent. Ceci n’est évidemment pas vrai partout. Pour ceux vivant à Chypre, dans les Balkans et en Ukraine, le conflit est une mémoire récente, et dans le dernier cas, une réalité en cours. Mais la plupart des Européens ne peuvent imaginer ce que c’est de vivre dans un pays en guerre. Et pourtant, comme les étudiants en histoire le savent, l’histoire de chaque conflit commence avec les événements qui l’ont précédé.
Quelles sont les signes des conflits de demain présents en Europe aujourd’hui ? Que pouvons-nous apprendre des générations précédentes qui ont façonné la paix dans notre continent en conflit ? Et comment les Chrétiens et les églises peuvent être des « pacificateurs » (Matt. 5:9) et des « agents de réconciliation » (2 Cor. 5:18) en Europe aujourd’hui ?
Le continent en conflit
S’il existe une leçon de l’histoire récente d’Europe, c’est le danger du nationalisme. Et lorsque le nationalisme est fusionné avec le populisme, le danger est encore plus grand. Mais avant d’en discuter un peu plus, prenons un moment afin de définir nos termes.
Le nationalisme est un discours sur l’identité et l’appartenance. Fondamentalement, c’est une opposition entre ceux qui sont vus comme appartenant à la nation et ceux qui sont considérés comme n’en faisant pas partie. Le populisme, d’un autre côté, voit « le peuple » comme les victimes de l’oppression des élites, que ce soit au sein de leur propre gouvernement, dans les médias, à l’Union européenne, la BCE ou les mouvements mondialistes. Par conséquent, nous pourrions parler du nationalisme comme étant une opposition horizontale entre les peuples et du populisme comme étant une opposition verticale entre « le peuple » et les élites.
Bien que les mouvements populistes peuvent se trouver dans tout le spectre politique, la fusion du nationalisme et du populisme dans la droite politique a donné naissance aux partis nationaux populistes que nous pouvons trouver dans pratiquement tous les pays européens.
Les dirigeants populistes nationaux s’alimentent à partir des quatre éléments suivants : suspicion de leurs politiciens, dépravation des avantages économiques du peuple, que ce soit par les élites ou par les migrants, destruction de la culture autochtone et désalignement politique (Eatwell et Goodwin).
La manière dont ces dynamiques opèrent peut être illustrée par deux événements récents dans l’histoire européenne : Brexit et l’épidémie du coronavirus.
Le résultat du référendum au Royaume-Uni sur l’appartenance à l’Union européenne en a surpris beaucoup, mais quiconque voyageait hors de Londres et vers le sud-est pouvaient entendre les quatre éléments de Eatwell et Goodwin dans les conversations. Et le slogan de la campagne du Leave, Take Back Control (reprendre le contrôle), résumait parfaitement cette frustration. L’argument était clair : Les choses iraient bien mieux si « nous » étions au contrôle. Donc, beaucoup de nos problèmes se résument à « eux ». Bien qu’en théorie, l’Union européenne et ses bureaucrates étaient la cible, en pratique, la rhétorique antieuropéenne faisait de nos frères du reste de l’Europe « les autres ».
Cette dynamique de « l’autre » est aussi évidente dans l’épidémie du Covid-19. Les Européens ont rapidement fait la transition de blâmer les Chinois à blâmer des cibles plus traditionnelles : les Rom, les migrants de manière générale, et même les Evangéliques et les Baptistes, dans les cas de l’Espagne, de la France et de la Russie.
Le coronavirus a eu des conséquences économiques et politiques dévastatrices, dont certaines dureront encore longtemps après que le virus sera sous contrôle. Il était extraordinaire de voir avec quelle rapidité l’espace Schengen a été suspendu, spécialement en sachant à quel point la valeur du « libre mouvement » est essentielle pour l’Union européenne. Mais plus précisément, l’impact économique du Covid-19 a amené les intérêts nationaux au premier plan, alors que l’Italie et l’Espagne recherchaient le soutient de l’Union européenne pour leurs économies fragiles. La résistance de certains Etats au sein de l’Union européenne à l’idée de la mutualisation de la dette a été un message clair. Malgré tous les discours de solidarité européenne, au final, « vous êtes livrés à vous-mêmes ». Covid-19 a révélé le réflexe nationaliste de l’Europe. Après la crise financière de 2008, la crise de la dette souveraine de 2012/2013, la crise des migrants de 2015/2016 et le Brexit, l’Union européenne fait face à une nouvelle crise existentielle qui menace de monter les nations contre les nations alors que l’énorme impact économique et politique du coronavirus devient clair au cours des années.
Une leçon de l’histoire récente
Cette édition de Vista coïncide avec deux anniversaires. Il y a septante-cinq ans cette semaine, le 8 mai 1945, les forces de l’Allemagne nazie ont officiellement capitulé face aux Forces alliées lors de ce qui est appelé VE Day, le jour de la victoire en Europe. Mais le 9 mai est aussi le septantième anniversaire d’un discours de trois minutes de Robert Schuman, le ministre français des Affaires étrangères, lequel est célébré dans toute l’Union européenne comme étant la Journée de l’Europe, car il est considéré comme ayant joué un rôle crucial dans l’établissement de la paix en Europe.
La Déclaration Schuman, née des douleurs de la deuxième Guerre mondiale, cherchait à institutionnaliser la réconciliation entre la France et l’Allemagne par le biais d’une structure transnationale commune pour l’administration du charbon et de l’acier, la matière première du conflit armé, afin que « toute guerre entre la France et l’Allemagne devienne non seulement impensable, mais matériellement impossible. »
Quelle que soit votre opinion sur l’Union européenne, qui est issue de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, dans notre état actuel de conflit, il est bon de se rappeler du rôle que des Chrétiens influents comme Schuman ont joué en pointant les peuples vers la réconciliation et vers un avenir partagé.
Schuman avait compris que la réconciliation impliquait le passé, le présent et l’avenir. Elle implique une évaluation honnête des péchés du passé : les divisions et les inégalités qui ont ouvert la voie au conflit, et la vraie nature des maux perpétrés durant la deuxième Guerre mondiale. Cela implique travailler dans le présent, dans la construction des réalités qui font une différence matérielle. Et cela implique une vision de l’avenir, imaginer un avenir au-delà de cette structure, qui serait une bénédiction au-delà de soi-même (remarquez la référence au « développement du continent africain »). Les Chrétiens d’aujourd’hui peuvent-ils apprendre quelque chose de la proposition de Schuman alors que nous recherchons à être des pacificateurs aujourd’hui ?
Pacification en Europe
La sociologue française Hervieu-Léger fut la première a remarquer que les Européens souffrent d’une amnésie collective au sujet de leur héritage chrétien. J’ajouterais que beaucoup de Chrétiens européens sont de plus en plus amnésiques au sujet des dangers du nationalisme. La manière dont beaucoup de Chrétiens en Europe s’alignent derrière les politiciens populistes nationaux simplement parce qu’ils utilisent des symboles chrétiens, ou tiennent des positions traditionnelles sur certaines questions, est très troublant.
La diabolisation de « l’autre », une caractéristique essentielle du nationalisme, est en opposition directe avec l’évangile chrétien. Comme le théologien allemand Jürgen Moltmann nous le rappelle : « l’église de Christ est, dans son état idéal, dans le camp de l’humanité et incompatible avec le nationalisme. Lorsque Dieu est devenu humain, c’est exactement ce qu’il est devenu, et il n’est pas devenu Américain ou Allemand… chaque être humain, peu importe sa nationalité, doit être respecté comme une image de Dieu. »
L’hospitalité envers l’étranger, « l’autre », est une valeur biblique fondamentale. Et pour les églises chrétiennes, notre constitution même dans le Nouveau Testament ne nous permettra pas de construire des murs de séparation, car « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ. » (Galates 3:28). Une église qui n’est pas tant pour nous que pour l’autre n’est pas une église chrétienne.
Par conséquent, comment pouvons-nous être pacificateurs en Europe aujourd’hui ? En étant comme des fils et filles d’Issacar qui avaient compris les temps dans lesquels ils vivaient et par conséquent savaient quoi faire (1 Chron. 12:32). Car comme Schuman, notre tâche de réconciliation implique aussi bien le passé, le présent et l’avenir.
- Passé : nous devons construire la paix en remédiant aux maux du passé. Chaque nouvelle génération doit se rappeler non seulement des dangers du nationalisme, mais aussi des autres « péchés des Pères » que nous avons commis : l’esclavage, l’exploitation des pauvres du monde et la destruction de la planète. Les justifications pour les conflits sont toujours trouvées dans les injustices du passé. Les Chrétiens doivent œuvrer pour guérir et réconcilier le passé.
- Présent : nous devons contribuer à construire la paix dans le présent. Parler prophétiquement dans nos contextes. Contester ceux qui aliènent certaines personnes dans nos sociétés, au nom de Christ. Mais de manière plus positive, conduire des initiatives de réconciliation locales, nationales et internationales, comme l’ont fait Robert Schuman et beaucoup d’autres.
- Avenir : nous devons projeter une vision de la paix dans l’avenir. Les conflits sont souvent combattus pour obtenir un meilleur demain. Plus fréquemment, ils consolident simplement de nouvelles amertumes qui alimenteront les guerres de demain. En tant que Chrétiens, nous savons ce qu’est le plan de Dieu, et ce n’est pas la guerre mais la réconciliation de toutes choses en Christ (Col. 1:20), le suprême ‘meilleur demain’. Notre vision est celle d’un peuple de Dieu de toute tribu, de toute langue, et de toute nation qui proclame ensemble : « Le royaume du monde est remis à notre Seigneur et à son Christ; et il régnera aux siècles des siècles. » (Apocalypse 11:15)
Références
Eatwell and Goodwin, National Populism, Penguin: Milton Keynes, 2018
Fountain, Deeply Rooted, Seismos: Amsterdam, 2014
Hervieu-Léger, Religion as a Chain of Memory, Polity: Cambridge, 2000
Kerr (Ed.), Is God a Populist?, Skaperkraft: Oslo, 2019